Le retrait du Burundi de la
Cour pénale internationale (CPI) a été effectif en octobre 2017, après
que celle-ci avait déjà bouclé son examen préliminaire des crimes commis
dans ce pays depuis avril 2015. Ce retrait n’entraîne cependant pas
l’abandon du dossier burundais. Selon Stella Ndirangu, une avocate
kenyane qui travaille avec la Commission internationale des juristes, le
défi reste comment cette cour siégeant à
La Haye pourra mener son enquête, du moment que le gouvernement
burundais a clairement déclaré qu’il n’allait pas coopérer. La tâche
sera certes difficile mais pas impossible, estime l'activiste kenyane
interrogée par JusticeInfo en marge d'une conférence internationale à
Kigali.
JusticeInfo: Le retrait du Burundi de la CPI a-t-il des implications juridiques?
Stella Ndirangu: Au moment où le Burundi se
retirait, la Cour pénale internationale avait été déjà saisie des crimes
qui avaient été commis et se commettaient encore. Et déjà plusieurs
requêtes avaient été enregistrées alors que le Burundi était ecnore
Etat-partie au Statut de Rome instituant la Cour. Annoncé en 2016, le
retrait de ce pays devait prendre toute une année pour devenir effectif.
Il est important de souligner que la Cour restait compétente pour mener
des enquêtes et des poursuites contre les auteurs des crimes commis.
Ainsi, ce qui est important de noter aujourd’hui, ce n’est pas le
retrait en soi, mais le fait que même après le départ du Burundi, la CPI
est toujours compétente pour les enquêtes et les poursuites.
Mais comment la CPI va -t -elle poursuivre son travail dans un pays qui a juré de ne pas coopérer?
Nous savons très bien que dans le cadre d’autres procédures mises en
place par le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, les
commissaires envoyés au Burundi ont été déclarés personae non grata par
les autorités burundaises. Il y a eu donc un problème d’accès.
Cependant, depuis le début de la perpétration de ces crimes, il y a eu,
d’abord, une documentation aux fins d’assurer que, même à l’avenir,
leurs auteurs en rendent compte. D’autres mécanismes, comme celui des
Nations unies, s’en sont servis en vue d’essayer de comprendre la nature
et l’ampleur des violations massives qui ont lieu au Burundi.
Deuxièmement, plusieurs personnes ont dû quitter le Burundi pendant
ces violations massives des droits de l’homme. Ce sont donc des témoins
de ce qu’ils ont vécu, ce qui est arrivé à leurs membres de famille
disparus, tués, ou arrêtés avant de quitter le Burundi. Il y eu
également suffisamment de documents et d’images qui ont circulé. Je
crois donc que la CPI devra s’appuyer sur tout cela et mener son enquête
en grande partie en dehors du Burundi.
Vous pensez qu’on n’a donc plus besoin d’enquêter à l’intérieur du Burundi?
Je ne pourrais pas dire cela! Car il est important pour la CPI de
continuer d’essayer d’avoir quelque degré de coopération. Donc, ce
besoin subsiste toujours, du moment que des personnes qui sont restées
sur place comprennent les événements mieux que celles vivant à
l’extérieur du pays. Je crois que, idéalement, il devrait y avoir les
deux enquêtes à la fois, à l’intérieur et à l’extérieur. Mais ce que je
dis pour le moment est que le gouvernement du Burundi reste toujours
hostile à admettre des enquêteurs sur son territoire.
A la lumière de l’échec du dossier kényan, quelles sont les chances pour la CPI de mener des enquêtes et des poursuites dans le dossier burundais ?
Quand on se penche sur l’affaire kenyane,
il est important pour la CPI de reconnaître des erreurs dans la
collecte des éléments de preuve auprès des témoins et la façon dont ils
ont été conservés. Nous espérons que la CPI a tiré des leçons en termes
du choix et des limites des éléments de preuve et de la manière de les
préserver. Avec la situation au Burundi, le gouvernement du Burundi a
la mainmise sur ces affaires. C’était la même chose pour le
gouvernement du Kenya, mais ce dernier bénéficiait, en plus, de
plusieurs soutiens de tous bords. Ainsi, le succès ou l’échec dans
“l’affaire Burundi” dépendra de l’ampleur des interférences dans les
enquêtes et les poursuites par la CPI. Mais je n’y vois pas autant
d’interférences que celles enregistrées dans l’affaire kenyane.
Vous voulez parler d’interférences intérieures?
Extérieures, en fait! Elles étaient extérieures, pour la plupart, en
recourant d’abord à l’Union Africaine. Je pense que, à cause de la
position stratégique du Kenya dans la région, il y a eu beaucoup de
soutiens de la part de l’Union Africaine. Ensuite, il y a eu aussi des
interférences reconnues par les juges dans les cas où « des témoins ont été influencés pour ne pas soutenir l’affaire ».
Ainsi, à la lumière de l’affaire kenyane sur la façon dont les
témoins étaient traqués en dépit de mécanismes de protection de la CPI,
j’ose espérer que la CPI va s’assurer qu’elle s’appuie moins sur les
preuves testimoniales et trouve d’autres moyens de soutenir le dossier à
travers des sources alternatives de preuve. J’espère aussi qu’ils vont
renforcer leurs mécanismes de protection de témoins pour que ceux qui
veulent empêcher la Cour de rendre justice n’y arrivent pas aisément.
Ne craignez-vous pas que la CPI expose ses témoins potentiels à plus de répression si elle continue d’enquêter dans le contexte du Burundi ?
Je crois que la CPI, dans sa stratégie d’impliquer les victimes et
les témoins, reconnaît bien ce défi. J’ai l’espoir que, dans le contexte
du Burundi, ils sont avisés de ces facteurs et essayeront de faire
usage de moyens qui n’exposent pas les victimes et les témoins.
De toute façon, on ne peut enquêter et poursuivre les crimes
internationaux sans contacter les individus ayant été directement
affectés par ce conflit. Pour comprendre ce conflit, vous devez
travailler étroitement avec eux, mettre sur pied des mécanismes qui ne
les exposent pas. Et beaucoup de travail a été fait dans ce sens. Ce
n’est pas nécessaire que la CPI montre son visage, étant donné qu’ils
peuvent aussi bien faire appel à d’autres personnes pour recueillir les
informations dont ils ont besoin.
Quelles seraient les conséquences pour les pays africains et la justice internationale si “la situation du Burundi” n’était pas portée devant la justice ?
Le premier scenario est que la Procureure mène son enquête mais
trouve qu’elle n’a pas d’éléments de preuve suffisants pour soutenir le
dossier et l’amener au procès. Cela peut bien arriver. J’espère
cependant que la Procureure va réunir suffisamment de preuves pour
obtenir des procès et des condamnations. Mais si tel n’était pas le cas,
alors cela fait partie du cours de la justice. Cela suffit pour nous
montrer que la justice internationale fonctionne et qu’elle est
importante et présente pour essayer de juger les violations massives
perpétrées en Afrique et ailleurs dans le monde.
11.01.18, Emmanuel Sehene Ruvugiro, à Kigali, http://www.justiceinfo.net/fr
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